Un livre court, bouleversant et sans fard
Intérieur nuit n’est pas un roman. C’est un récit de survie. Nicolas Demorand, voix bien connue des matins de France Inter, y dévoile sa réalité intime : il est bipolaire. L’annonce frappe dès la première ligne : « Je suis un malade mental. » Impossible de reposer le livre après cela.
Le texte est bref — moins de 130 pages — mais incisif, tendu, et d’une grande clarté. Pas de pathos, pas d’emphase. Seulement la lucidité d’un homme qui, après vingt ans de silence, ose nommer la maladie. Ce choix n’a rien d’anodin. Il engage tout ce que la littérature peut encore offrir de plus rare : un face-à-face sans décor avec ce que nous ne voulons pas voir.
L’écriture est rapide, nerveuse, presque orale. Mais chaque mot est pesé. Le style est celui d’un journaliste qui sait aller à l’essentiel, même lorsqu’il parle de lui.
Mettre des mots sur le trouble bipolaire
Ce livre, avant tout, explique ce qu’est la bipolarité. Ou plutôt, ce que cela fait d’être bipolaire au quotidien. Demorand ne théorise pas. Il raconte.
Il décrit deux faces :
- la phase maniaque, exaltée, euphorique, dépensière, créative, où l’on croit pouvoir soulever le monde ;
- puis la chute, la phase dépressive, brutale, silencieuse, où il devient impossible de se lever, de se laver, de parler.
« Ma bipolarité me définit pleinement. » écrit-il. Et il faut entendre cela comme on entendrait : elle m’enserre, elle m’absorbe. On comprend aussi, au fil des pages, à quel point ce trouble est un combat de l’identité. Être soi devient mouvant, incertain.
Les exemples sont concrets : des achats compulsifs, des nuits sans sommeil, des prises de risque absurdes… mais aussi cette honte permanente, ce besoin de se cacher, de camoufler la douleur. Et puis la tentation du pire. Car oui, ce récit évoque aussi la pulsion suicidaire, cette échappée que tant de bipolaires connaissent, mais taisent.
Le parcours chaotique d’un malade dans le système psychiatrique français
Avant d’être pris en charge correctement, Nicolas Demorand a connu ce que vivent des milliers de patients : l’errance médicale.
Des généralistes dépassés, qui prescrivent des antidépresseurs dangereux pour un bipolaire. Des psychanalystes inutiles, parfois même grotesques : l’un compte ses billets pendant les séances, l’autre l’enferme dans une rhétorique vaseuse.
Ce n’est qu’après des années de tâtonnements qu’un diagnostic clair est enfin posé, à l’hôpital Sainte-Anne. Il découvre alors ce qu’est vraiment sa maladie. Et ce que cela implique : médicaments à vie, psychiatres compétents, mais aussi acceptation d’une forme d’existence sous surveillance.
Le récit illustre bien la fragilité du système psychiatrique en France, où les malades mentaux sont encore mal accueillis, mal orientés, parfois stigmatisés par ceux censés les aider.
Une vie sous contrôle, entre matinale radio et chaos intérieur
Ce qui sidère, c’est l’écart entre l’homme public et l’homme souffrant. Chaque matin, Demorand assure la matinale la plus écoutée de France. Il incarne l’autorité, la stabilité, la maîtrise.
Mais chaque soir, il s’effondre. Il rentre « rincé », il se débat avec ses démons, ses médicaments, sa mémoire brumeuse. Il explique que le travail est devenu son exosquelette, une manière de tenir debout malgré le vide intérieur.
Ce chapitre du livre — à la fois sobre et bouleversant — nous fait réfléchir sur les apparences. Ce que l’on voit n’est pas ce que l’autre vit. Et inversement, ce que l’autre traverse, on ne le devine jamais.
La bipolarité, chez lui, ne se voit pas. Mais elle le hante à chaque instant.
Un témoignage nécessaire pour briser le tabou de la maladie mentale
Avec Intérieur nuit, Nicolas Demorand rejoint une lignée rare d’auteurs français ayant osé dire leur maladie mentale. Comme Gérard Garouste, Delphine de Vigan ou encore Emmanuel Carrère, il écrit pour rompre le silence, non pour se confesser.
Le livre a reçu un accueil public fort. Les témoignages de lecteurs se sont multipliés. Beaucoup s’y sont reconnus immédiatement, même sans être eux-mêmes bipolaires. Parce qu’il parle de honte, de solitude, de faux-semblants. Parce qu’il touche à cette part d’obscurité que chacun connaît.
En exposant sa fragilité, Demorand ne faiblit pas : il éclaire. Et peut-être, à sa façon, il soigne aussi un peu.
Ce livre n’est pas un manifeste. Il n’a rien d’un appel. Il est un acte de présence. Et à ce titre, il mérite d’être lu.