Un essai coup de poing sur les nouveaux visages du pouvoir mondial
Ils s’appellent Trump, Milei, Bukele, Mohammed Ben Salman. Ils gouvernent par le choc, la vitesse, la provocation. Dans L’heure des prédateurs, Giuliano da Empoli dresse le portrait d’une génération de leaders qui ne cachent plus leur soif de domination.
L’auteur propose un essai politique contemporain sans détours, en forme de galerie de portraits mais aussi de décryptage global. En moins de 150 pages, il trace les contours d’un monde en bascule, où les règles sont réécrites par des hommes qui jouent avec le feu et redéfinissent les frontières du pouvoir.
Il ne s’agit pas ici d’une simple dénonciation. Da Empoli observe, analyse, relie les faits. Il raconte ce qu’il a vu, ce qu’on lui a dit. Il met au jour une cartographie politique nouvelle, qui n’est plus structurée par l’idéologie, mais par l’audace cynique, l’agressivité stratégique et le culte de la personnalisation.
Giuliano da Empoli : entre réflexion politique et narration stratégique
Da Empoli n’est pas un théoricien sec. Il est un conteur du réel. On le connaît depuis Les ingénieurs du chaos, devenu une référence. On l’a lu aussi avec Le mage du Kremlin, fiction politique puissante. Ici, il revient à l’essai, son terrain de prédilection.
Ancien conseiller politique, notamment en Italie, observateur lucide des dérives populistes, il possède cette capacité rare : relier les coulisses du pouvoir à leur impact sur nos vies. Il convoque Machiavel, Borgia, mais sans érudition gratuite. Chaque référence éclaire un fait, une logique, un mouvement.
On lit L’heure des prédateurs autant pour ce qu’il dit que pour comment il le dit. Style nerveux, phrases serrées, ironie présente mais jamais écrasante. Une écriture claire qui ne cherche pas à impressionner, mais à informer sans ennuyer.
Le populisme technologique : quand l’intelligence artificielle alimente le chaos
C’est sans doute le chapitre le plus vertigineux du livre. Da Empoli montre comment les outils numériques nourrissent aujourd’hui les formes les plus toxiques du pouvoir.
Ce ne sont plus seulement des figures autoritaires qui captent l’attention : ce sont des plateformes, des algorithmes, des applications. Ils orientent nos décisions, nos colères, nos votes.
L’auteur évoque Waze détournant le trafic, TikTok amplifiant les radicalités, les ingénieurs de la Silicon Valley qui modèlent les comportements humains comme ils optimisaient autrefois des lignes de code. Il parle d’un transfert de pouvoir invisible, qui rend l’humain secondaire dans ses propres choix.
Ce que Da Empoli dénonce, ce n’est pas l’outil, mais l’absence de garde-fous. Les États ne contrôlent plus rien. La technologie va plus vite que la loi, plus vite que la réflexion politique. Et ceux qui en profitent ne veulent surtout pas freiner.
Entre Borgia et Silicon Valley : anatomie des nouveaux prédateurs
Le titre du livre prend tout son sens ici. Ces nouveaux dirigeants sont des prédateurs modernes. Non pas des tyrans classiques, mais des hommes stratégiques, hyperconnectés, conscients du pouvoir de l’image et du récit.
Ils ne cachent plus leurs ambitions. Bukele au Salvador transforme les prisons en spectacles. Trump transforme chaque accusation en coup de projecteur. Le cynisme est devenu une stratégie gagnante.
Da Empoli montre qu’on est entré dans une époque où la politique se pratique comme le théâtre d’un affrontement global. Plus de pudeur, plus de pacte démocratique implicite. La violence est économique, médiatique, algorithmique.
Et ce n’est pas un hasard si ces leaders fascinent : ils sidèrent autant qu’ils inspirent. Les médias suivent. Les électeurs aussi. Parce que le chaos est devenu une offre politique crédible.
Une démocratie sous tension : faut-il encore croire à un sursaut ?
Le livre ne se termine pas sur une note d’espoir. Mais il n’est pas non plus désespéré. Il cherche à alerter, pas à enterrer.
Da Empoli pose la question centrale : que reste-t-il de la démocratie dans ce nouveau paysage ? Les contre-pouvoirs sont affaiblis. La société civile peine à suivre. L’État recule. Le citoyen devient spectateur.
Mais tout n’est pas perdu. Il rappelle, à demi-mot, que la résistance passe aussi par l’intelligence, la lecture, la vigilance. Un maire peut encore bloquer les dérives d’un algorithme. Un lecteur peut encore refuser la sidération. Un vote peut encore faire basculer l’histoire.
Le clivage décisif ne passe plus entre gauche et droite, mais entre ceux qui veulent penser et ceux qui préfèrent se laisser faire.
L’heure des prédateurs est un appel. Pas à la peur. Mais à la lucidité. Et dans une époque saturée de bruit, cette lucidité vaut de l’or.